Extraits

  • Extrait n° 1, du chapitre « Introduction à la Voie du Murmure »

« Dans notre société qui valorise l’action, l’intellect et l’invulnérabilité, des personnes dépourvues de ces attributs sont souvent considérées comme ne valant plus grand-chose. Quand on est vulnérable, qu’on a une maladie neurodégénérative, qu’on est âgé, qu’on ne comprend plus, qu’on ne parle plus, qu’on ne marche plus, qu’on ne sait plus « rien faire », qu’on est dépendant, que nous reste-t-il de notre dignité humaine ? Que nous reste-t-il quand il ne reste plus rien ? Il nous reste la capacité d’être en lien, la capacité d’être aimé et la capacité à aimer. Nous sommes des êtres de lien. Là où il n’y a plus de lien, il y a perte d’humanité. La maladie d’Alzheimer et autres maladies apparentées, ainsi que toute autre grande maladie ou perte d’autonomie qui nous met dans la vulnérabilité, aussi dramatiques soient elles, portent en leur sein de multiples cadeaux, pour autant que nous arrivions à opérer un changement de regard, de perception, de paradigme, de mode relationnel. Au lieu de mettre toute notre attention sur la perte, sur ce qui a été jadis et qui n’est plus, qui ne fonctionne plus, qui ne se sera jamais plus, nous pouvons apprendre à faire l’inverse : mettre notre attention sur ce qui peut advenir, naitre, exister, maintenant. Trouver ce que ces pertes permettent de différent, de nouveau, de beau, pour moi, pour l’autre et pour la relation. Trouver les cadeaux qui peuvent advenir de par et grâce à la maladie et ses pertes associées. En effet, leurs pertes cognitives et neurodégénératives peuvent nous donner l’opportunité d’apprendre à entrer en lien et à communiquer différemment avec eux.  Cela peut nous permettre de découvrir un autre mode relationnel non pas basé sur la parole, l’intellect, la raison, le mental, mais basé avant tout sur la présence, la tendresse, l’intelligence affective et la communication non-verbale. Leur perte de vitalité peut nous donner l’occasion d’apprendre à ralentir. Leur perte de l’ouïe peut nous permettre d’apprendre à parler moins, ainsi qu’à s’approcher et murmurer au lieu de crier. Leur perte de la notion du passé et du futur peut être une merveilleuse occasion d’apprendre à entrer dans l’instant présent avec eux. Oui nous pouvons trouver le cadeau dans la perte. Il existe un chemin pour opérer ce changement de regard, cette nouvelle façon d’entrer en contact et en lien avec eux tels qu’ils sont. Et nous y gagnons tous. C’est tout le sujet de ce livre, c’est l’invitation profonde de cette approche. »

  • Extrait n° 2, du chapitre « L’art de la Pleine Présence Relationnelle »

« Avoir une présence intentionnelle, c’est être habité et porté par la présence vivante d’une intention profonde, qui est le « pour quoi » de mon accompagnement. C’est sa raison d’être, son sens profond, son énergie, sa vibration. Et ce « pour quoi » j’accompagne, imprégnera le « comment » j’accompagne. Que j’en sois consciente ou non, mon accompagnement sera imprégné de l’intention profonde que je porte et diffusera sa vibration dans tout ce que je fais : ma façon de regarder l’autre, de le toucher, de l’écouter, de lui parler, de chanter pour lui. La plupart des personnes n’ont jamais ou peu pris le temps de clarifier, préciser et enrichir leur intention profonde. Si nous voulons offrir et vivre un accompagnement plus satisfaisant pour nous-même et pour les personnes que nous accompagnons, c’est la première chose à faire et c’est pour moi une étape indispensable. Alors, quel est le sens, quel est le but de mon accompagnement ? Qu’est-ce que j’ai envie d’y vivre, d’y donner, d’y recevoir, d’y partager ? Quelle est l’intention profonde que je veux cultiver et nourrir consciemment ? Est-ce que je vais vers l’autre par obligation, parce que c’est mon travail ou mon devoir ? Est-ce que je vais vers l’autre avec une bonne intention un peu vague comme « rendre service et faire du mieux que je peux » ? Est-ce que je vais vers l’autre avec une intention claire qui me galvanise comme « vivre un moment de connexion humaine tendre avec l’autre » ? Ces intentions auront des vibrations et des résultats différents pour nous et pour l’autre. Plus j’aurai une intention belle, claire et forte qui me transporte, plus je serai nourrie de mes accompagnements, et plus cette intention sera comme une flèche invisible qui ouvre les cœurs, le mien et le leur. Pour développer cette dimension de la présence intentionnelle, il est donc fondamental de prendre ce temps d’introspection et de mise en mots pour mettre en conscience ce « pour quoi » je vais à la rencontre de l’autre, ce « pour quoi » je fais cet accompagnement. »

  • Extrait n° 3, du chapitre « L’art d’entrer en contact et en lien »

« Le chemin que propose la Voie du Murmure s’appuie sur la conviction intime qu’il existe un chemin ou un pont vers l’autre qui va me permettre de le rejoindre, et que c’est à moi l’accompagnant de le trouver ou de le construire. Cette conviction intime, cette intention profonde de trouver la porte d’entrée est une vibration subtile qui communique à l’autre : « Je cherche comment entrer en lien avec toi, je cherche à trouver la voie d’accès, l’endroit où c’est possible de toucher ton cœur, de te rejoindre et de vivre une rencontre nourricière authentique ». Cette recherche de la porte d’entrée personnalisée, quiest un sésame à la connexion profonde, exige à la fois délicatesse et ferveur, écoute et feed-back. Il ne s’agit donc pas ici d’enfoncer la porte. Il s’agit de trouver la clé de la porte afin que celle-ci s’ouvre d’elle-même. Il s’agit d’établir une connexion avec l’autre qui va favoriser une ouverture de cœur et de confiance, qui va permettre qu’il se sente rejoint là où il est, qui va lui permettre de se sentir en lien d’intimité sécure et authentique (ce qui lui permettra alors à son tour de « venir » dans la rencontre et le lien). Chercher la porte d’entrée me demande donc d’être en présence attentive, perceptive, réactive et créative. Je ne dois pas me précipiter dans le « faire », mais plutôt cheminer dans un « être avec ». Utiliser tous les éléments de la réalité situationnelle (ouvertures, opportunités, résistances, personnes présentes, contexte) pour tisser un pont vers l’autre et le rejoindre. Voir les signes qui me disent si j’ai rejoint l’autre, si je garde ou perds la connexion. A chaque instant, avoir conscience de ce qui se passe et de m’y adapter en permanence. Dès mes tout premiers accompagnements, la première question que l’on m’a posée fut : « Comment fais-tu pour obtenir ces résultats avec eux ? » et je me suis entendu répondre : « Je cherche la porte d’entrée ». C’est donc la première clé que j’ai conscientisée et nommée. Et elle est fondamentale dans l’art de rejoindre l’autre. Oui, quel est l’élément clé, ici et maintenant, qui va me permettre d’ouvrir la porte de son intérêt, de son attention, de sa confiance, de son cœur ? Où est sa ressource actuelle, là où il se sent capable encore ? Quelle est la ressource endormie que je peux réveiller ou le potentiel que je peux révéler ? Notre ressource ici pour trouver cette fameuse porte d’entrée va être toutes ces compétences de la Pleine Présence Relationnelle que nous avons vues et qui vont être mises à contribution de façon interreliée. Et c’est ça qui va être intéressant et passionnant. C’est là que notre qualité de présence va être notre plus grande source de compétence pour trouver cette porte d’entrée et offrir un accompagnement et une rencontre pleinement personnalisés. Je ne vais donc pas ici vous donner des recettes précises à reproduire à l’identique mais je vais plutôt tenter de vous faire comprendre et sentir comment je fais ce travail afin que vous puissiez vous en inspirer. Quand j’arrive dans un accompagnement, je ne sais pas ce que je vais faire, ce qui va s’y passer. J’arrive avec mon intention de rejoindre l’autre, munie de ma tendresse, ma capacité à être en feed-back et ma créativité. Et je navigue à partir de ce qui est là dans le réel (et non pas à partir de ce que je m’imagine ou espère). Je fais avec ce qui est, je dis oui et j’acquiesce à la vie et à la situation telle qu’elle est là maintenant. Tout peut être un bon point de départ pour aller vers le lien, pour chercher à rejoindre l’autre. Parfois je repère facilement la porte d’entrée et je les rejoins rapidement. Parfois il me faut chercher plus longtemps et y aller à tâtons. Parfois c’est même un défi digne de sortir d’un labyrinthe, sauf qu’ici il ne s’agit pas d’en sortir mais d’y entrer. Il y a plein de portes d’entrée vers le lien. Parfois ce sera par mon contact corporel tendre. Parfois ce sera par mon regard tendre et authentique. Parfois ce sera par ma parole ou mon écoute qui les touche en plein cœur. Parfois ce sera par le mimétisme corporel ou par l’utilisation d’un objet transitionnel. Parfois ce sera par le rire partagé, le chant ou la musique. Donc je deviens une exploratrice qui cherche intensément cette porte d’entrée, comme une spéléologue qui avance dans le noir sans savoir où elle va avec sa torche pour éclairer juste le prochain pas devant elle. Ma torche, c’est la qualité de mon attention, dans une présence à la fois concentrée, détendue, ouverte et en feed-back. Et le carburant de ma torche, c’est toute ma présence affective et créative. Chercher la porte d’entrée est donc un travail à la fois de détective, par le sens du détail et de la finesse de l’attention que cela demande, et à la fois de fée clochette, qui insuffle de la magie en les appelant très profondément à venir me rejoindre dans ce lieu d’émerveillement et de rencontre au cœur de notre humanité. »

  • Extrait n° 4, du chapitre « L’art d’accompagner la fin de vie et la mort »

« Veiller le mourant. Veiller pour le passage. Veiller et lui offrir notre présence. Veiller pour ne pas le laisser seul. Veiller pour qu’il ne meure pas sans la présence d’un autre être humain à ses côtés. Veiller sur une durée de plusieurs heures, voire plusieurs jours. Organiser à plusieurs une rotation de veille (qui souvent permet qu’il y ait quelqu’un de présent pour ce moment du dernier souffle). Dans notre société, nous avons perdu cette pratique de veiller, de « faire la veille », et ce pour plusieurs raisons. Parce que nous ne savons plus que c’est possible et nous n’en connaissons plus les avantages et les cadeaux. Parce que nous avons peur de ce moment et nous nous en pensons incapable. Parce que nous ne savons plus « ne rien faire », juste être là et veiller. Parce que nous sommes impatients et nous voulons que tout aille vite. Plusieurs fois, j’ai veillé des personnes qui étaient en coma de sédation et il m’est arrivé d’entendre des proches dire « cela ne sert plus à rien, il vaudrait mieux qu’on en finisse au plus vite ». Cette situation leur est tellement insupportable et douloureuse qu’ils demandent au médecin, plus ou moins explicitement, d’augmenter la dose de morphine afin que leur proche puisse partir plus rapidement. Je ne porte pas de jugement, mais qui sait ce qui se passe au niveau inconscient pour la personne quand elle est ainsi dans le coma ? Est-ce que dans cet état de sommeil profond, elle ne processerait pas des choses de sa vie avant de partir, comme on le fait dans nos rêves la nuit ? (de l’anglais « to process », voulant dire vivre un processus pour digérer, intégrer). Et si ce temps de coma de la personne que l’on accompagne nous permettait à nous aussi d’avoir le temps de processer des choses et d’en retirer des cadeaux de vie ? Oui, le temps de veille peut nous donner l’occasion de faire une pause, de s’arrêter enfin, de rentrer à l’intérieur de nous et de méditer sur la vie et la mort. Ce temps de veille peut donner aux membres de la famille l’occasion d’apprivoiser la mort qui s’approche et progressivement d’apaiser leurs émotions. Ce temps de veille est aussi un moment propice pour ritualiser. Nous pouvons créer une atmosphère intime et tamiser les lumières, mettre des huiles essentielles, une bougie, une fleur, une photo, de la musique douce, parler avec nos voix murmurées et fredonner des chants doux. C’est un moment de communion. Ce temps de veille peut leur donner le temps de pouvoir encore témoigner notre amour, par des paroles, des gestes, des chants, des prières et parfois permettre des guérisons profondes. »

  • Extrait n° 5, un récit d’accompagnement

« Ce jour-là je fais une journée d’intervention ponctuelle dans un établissement médico-social en Suisse. Sur le chemin qui mène à la chambre de Géraldine, 90 ans, la soignante me raconte que celle-ci se blesse en s’auto-infligeant des coups la sur poitrine avec ses poings. Pour contrer cela et la protéger, les soignants lui mettent un petit matelas en mousse orthopédique sur sa poitrine et lui donnent des calmants. J’arrive dans la chambre, Géraldine dort allongée dans son lit. Je m’approche tout doucement et m’adresse à elle en murmurant. Elle ne réagit pas. Comme Géraldine a la couverture remontée jusqu’au cou, je demande à la soignante si elle peut la découvrir un peu et enlever la mousse de protection pour que je puisse voir le haut de son corps. Je vois alors son corps d’une maigreur inouïe et il y a un énorme creux au milieu de sa cage thoracique au niveau du plexus solaire. Je la sens comme un oiseau blessé en besoin « d’une couche de protection ». Alors je sors de mon sac mon beau et doux coussin rouge en forme de cœur. Je m’approche d’elle et même si elle dors, je lui murmure à l’oreille : « Géraldine, je vois votre corps si fragile. On m’a dit que vous vous donniez des coups sur la poitrine. Je vais vous mettre délicatement mon coussin en forme de cœur à cet endroit de votre blessure, pour combler votre creux, pour vous apporter du baume, de la protection, de la douceur, de la tendresse ». Et là je pose le coussin sur sa poitrine et je reste en contact physique avec elle à travers ma main qui appuie délicatement sur le coussin pour qu’elle sente davantage ma présence à travers celui-ci. Je commence à lui fredonner une berceuse et lui transmets toute ma tendresse à travers mon chant et ce contact physique par le biais du coussin. Pendant tout ce temps, elle n’ouvre pas les yeux et ne bouge pas d’un millimètre. Au moment de clore l’accompagnement, je m’approche au-dessus de son visage et je lui murmure : « Géraldine, comme je sens que ce coussin peut vous faire du bien, je vais demander que l’on vous en procure un, que vous pourrez garder contre votre cœur et votre poitrine. Géraldine, je vais bientôt partir, je vais déposer un baiser sur votre joue ». Et au moment où je me rapproche pour le faire, à ma grande surprise, elle ouvre les yeux, souriante et relève la tête et le haut des épaules pour venir m’embrasser !  Incroyable. Je rencontre donc son regard pour la première fois. Tout en gardant le contact par le coussin, je lui dis :– « Merci Géraldine pour votre bise ! Je vais partir et je vais devoir reprendre le coussin cœur avec moi mais je vais voir à ce que l’on vous en procure un, pour vous. Vous pourrez le serrer contre votre cœur, sentir son contact et sa présence, et il viendra apporter un baume sur votre poitrine. » Une semaine après, l’animatrice m’a envoyé un message pour me confirmer qu’elle avait bien veillé à ce qu’on lui procure le même coussin rouge en forme de cœur. Elle me dira qu’à partir de ce jour-là, Géraldine ne s’est plus jamais frappé la poitrine. »

  • Extrait n° 6, un exercice du chapitre « Cheminer sur la Voie du Murmure en pratique »

EXERCICE n° 19 :  Signifier son écoute par le son « mmm ». Ce simple petit son, mmm, avec un léger hochement de tête, tout en restant dans le regard, fait beaucoup de bien à entendre car il permet de signifier à l’autre que nous l’avons entendu, que nous sommes avec lui. Dans vos accompagnements, ponctuez votre écoute en prononçant de temps en temps le son « mmm », en hochant légèrement la tête, en restant dans le regard, avec un petit moment de silence juste après. Ensuite, en fonction de ce qui émerge, vous sentirez s’il y a quelque chose d’autre à dire ou pas. Expérimentez et constatez comment cette simple pratique peut vous aider à mieux écouter et mieux rejoindre l’autre. Voyez aussi comment la vibration de ce son « mmm » est aussi bénéfique pour vous. Si vous faites cet exercice en duo ou en groupe, entrez dans une mise en situation d’accompagnement et expérimentez dans les deux rôles, le donner et le recevoir de ce son « mmm » tel que décrit ci-haut. Constatez-en l’impact sur l’accompagné autant que sur l’accompagnant, S’il y a un témoin, celui-ci pourra aussi observer ce que cela change dans la dynamique relationnelle. Alternez les rôles et partagez votre expérience et vos apprentissages.

  • Extrait n° 7, du chapitre « Mon histoire avec les personnes Alzheimer »

Ma rencontre avec eux a bouleversé ma vie. Dans leur regard, j’ai vu la beauté du cœur humain qui a soif de tendresse, de lien, d’émerveillement, de présence, d’amour, d’humanité. J’ai vu la beauté du cœur humain qui a soif de fondre, de s’attendrir et de se ré ouvrir. A travers leur regard, qu’il soit joyeux, triste, angoissé, fermé ou résigné, je les entendais me dire : « Tu me vois ? J’existe encore ? Il y a quelqu’un de présent en face de moi, quelqu’un de présent pour moi ? ». Et cela a fait fondre mon cœur qui intérieurement leur répondait : « Oui je suis là. Oui, il y a quelqu’un de présent en face de toi, pour toi. Tout de moi est là, enfin. » Et je les ai regardés. Je les ai touchés. Je les ai écoutés. Je leur ai parlé. J’ai chanté pour eux. Je les ai aimés.. Et j’ai su intuitivement comment faire et comment être auprès d’eux. Pour être au plus juste, je dois dire que j’ai pu faire tout cela grâce à eux. Ce sont eux qui m’ont offert un espace pour libérer tous ces trésors en moi. Ce sont eux qui m’ont guidé vers la pleine présence. Ce sont eux qui m’ont guidée vers l’amour inconditionnel, où j’ai grandi autant par celui que j’ai donné que par celui que j’ai reçu.